Les surdoué.es seraient des êtres à part, pour certain.es inadapté.es voire inadaptables au système scolaire, arbitrairement admis comme étant bon pour tous. Il faudrait alors s’enquérir de méthodes pour adapter l’enseignement à ces personnes atypiques, avec en principe l’objectif de faire exactement l’inverse, à savoir adapter ces surdoué.es à l’enseignement « classique/normal », afin que ces dernier.ères se fondent un peu mieux dans le paysage et que l’enseignement de masse puisse perdurer sans trop de remue-ménage.

A bien observer ce qui se passe, on constate que la demande faite aux surdoué.es est plutôt claire : ne pointez pas du doigt ce qui ne fonctionne pas, laissez-nous croire que le salut de l’apprentissage et de la socialisation se trouve dans cette éducation de masse, et si vous ne jouez pas le jeu, alors même que l’on essaie de trouver des méthodes pour vous amener à vous adapter, vous serez rejeté.es.

Le rejet ne porte donc pas tellement sur la personne surdouée elle-même mais sur ce qu’elle représente : un danger pour un système de croyance fébrile.

Or, bien entendu, celle ou celui qui est rejeté.e n’a pas immédiatement la possibilité de prendre le recul nécessaire pour comprendre ce qui se passe. Elle/il se le prend en pleine tête, parfois toute une scolarité durant, parfois même bien plus longtemps encore.

Depuis une dizaine d’années, on parle de plus en plus des surdoué.es et des initiatives scolaires et périscolaires qui ont été créées : école pour enfants précoces, classes spécialisées, soutien et cours particuliers notamment. Malheureusement, dans les faits, les bonnes intentions peuvent s’avérer vaines. En effet, il est étonnant de noter que la plupart des enseignant.es qui accompagnent ces jeunes, ne sont pas surdoué.es, et ce quel que soit le cadre. Elles/ils se posent rarement la question d’un enseignement surdoué et perpétuent souvent cette quête d’adaptation à l’éducation de masse, même si certain.es font tout de même un travail tout à fait remarquable.

Pourtant il existe des pédagogies particulièrement intelligentes, bien que l’on puisse regretter le fait qu’elles soient parfois détournées de leur véritable universalité pour des raisons commerciales. Toutefois, libre à chacun.e de s’en saisir ! Sauf que, justement, la liberté n’est pas donnée, elle se conquiert, elle s’autorise.

Du côté des surdoué.es

D’ailleurs, comment puis-je prétendre accompagner au mieux les surdoué.es (et les autres !) dans leur apprentissage, si moi-même je considère que eux/elles et moi sommes à côté de la plaque, que nous sommes mal adapté.es à l’éducation de masse qui serait pourtant la bonne pour toutes et tous, et que coûte que coûte nous devons nous y adapter ?

Bien sûr, il y a quelques contraintes avec lesquelles il faudra apprendre à faire, mais sans se renier, sans se perdre, sans considérer qu’on est une erreur, une anormalité, car ce n’est pas le cas, bien au contraire.

Pour ce faire, pour accompagner mes élèves au plus près de ce qu’ils/elles sont, surdoué.es ou non, la première personne que je dois autoriser à se respecter, à apprendre et à enseigner au plus près de ce qu’elle est, c’est moi ! A partir de là, et seulement à partir de là, il m’est possible de développer un enseignement épanouissant pour les autres et moi.

Mon expérience d’apprenante, d’enseignante et de chercheuse, car un.e véritable enseignant.e n’a de cesse de chercher et d’apprendre, quel que soit le cadre qu’il/elle se donne pour ses recherches, m’a convaincue qu’il existe un enseignement surdoué adapté à tous, surdoué.es ou non. Cet enseignement est le mien, depuis le début. C’est celui qui fait dire à mes élèves, petits et grands, que je suis une prof particulière, dans tous les sens du terme.

Mes élèves sont mes enseignant.es

Depuis plus de 8 ans, chaque fois que j’ai un premier cours avec un.e nouvel.le élève, je commence par préciser que je ne suis pas là pour faire rentrer un rond dans un carré. D’entrée de jeu, je propose de faire sauter les cadres classiques de l’enseignement et d’en créer de nouveaux. Et je n’ai eu de cesse depuis toutes ces années d’inventer et de réinventer ma manière d’enseigner à chaque cours, avec chaque élève. Bien sûr, je m’appuie sur toutes les connaissances que j’ai et que je continue de développer, mais dans le seul but qu’elles servent mon cours, mes élèves et ma curiosité intellectuelle et humaine toujours bouillonnante. 

J’ai appris bien plus grâce à mes élèves que sur les bancs de l’université. Bien sûr, quelques cours m’ont passionnée, m’ont fait gagner du temps et ont ouvert des perspectives insoupçonnées. Mais beaucoup m’ont ennuyée et fait enrager face à tout ce temps gâché. Je n’ai donc eu de cesse d’apprendre en parallèle, en autonomie, en fonction de ce qui s’est présenté, de ce qui résonnait avec ce que mes élèves et moi rencontrions dans nos cours. J’ai ainsi étudié, et je continue d’étudier de nombreuses pédagogies et approches afin de disposer d’une palette riche de multiples chemins sur lesquels partir à l’aventure avec mes élèves. Et bien souvent, c’est pendant les cours que des chemins inédits se présentent !

C’est bel et bien au contact de mes élèves, en rencontrant leurs problématiques, leurs blocages, leurs fulgurances, leurs chemins d’apprentissage, si uniques et universels, que j’apprends mon métier. Ce sont eux/elles mes meilleur.es enseignant.es, qu’ils soient surdoué.es ou non.

A la rencontre de l’enseignement libre

Adapter les surdoué.es à l’enseignement « normal » c’est partir du principe qu’il est adapté à tous. Pourtant, il suffit de rentrer dans une salle de classe ou dans un cours quel qu’il soit, de discuter avec des profs, des formateurs/trices et des apprenant.es de tous âges, toutes disciplines confondues, pour se rendre compte que l’attente générale est que celui/celle qui apprend doit s’adapter à l’enseignement. Et même si on prêche généralement le contraire, à y regarder de plus près, ce n’est pas l’enseignement qui est destiné aux apprenant.es, ce sont les apprenant.es qui sont destinés à l’enseignement.

Si le système éducatif et l’enseignement en général étaient réellement inventés de manière à ce qu’enseignant.es et apprenant.es soient épanoui.es, ça se saurait. Et à l’argument aveugle « c’est comme ça », beaucoup de surdoué.es répondent : « non ! ».

La particularité des atypiques est de tolérer le fameux « c’est la vie », beaucoup moins que les autres, et de le manifester parfois beaucoup plus bruyamment. Les surdoué.es dérangent. Ils/elles pointent du doigt ce qu’en réalité tout le monde ressent. Plutôt que de regarder en face ce qu’ils/elles dénoncent, les autres se prémunissent des remises en cause, et retournent la violence contre les surdoué.es.

Si on se posait une question qui est le plus clair du temps soigneusement occultée :

Et s’il existait un enseignement vraiment adapté à tous ?

Ces dernières années, outre mon activité de prof, j’ai eu la chance et le plaisir immense d’apprendre et d’observer, encore plus attentivement, l’enseignement de plusieurs personnes surdoué.es, qui d’ailleurs pour certaines ignorent qu’elles le sont. Qu’importe : comme beaucoup de surdoué.es, je n’ai pas besoin de test, pas plus que l’autre se sache surdoué.e, pour identifier qu’elle/il l’est. 

A leur contact, j’ai à chaque fois pu mesurer avec enthousiasme, combien l’enseignement surdoué est adapté à tous/toutes. J’entends par là qu’il permet à chaque personne qui s’en saisit, atypique ou non, d’apprendre de manière bien plus riche, intense et épanouissante qu’avec un enseignement « normal/classique».

Evidemment, il y a des variations individuelles. Chaque enseignant.e n’est pas le.la bon.ne pour chaque apprenant.e. Or, quand une personne est la bonne, pour presque la totalité de ses élèves, y compris pour des personnes dites différentes, surdouées, autistes, etc., il y a fort à parier qu’elle est atypique et propose un enseignement surdoué.

Les deux ne vont cependant pas toujours de pair. Un.e prof surdoué.e peut se savoir surdoué.e et proposer un enseignement « classique », tout aussi bien qu’un.e prof surdoué.e, ne se sachant pas atypique, peut proposer un enseignement libre.

Où réside la différence ? Dans l’autorisation qu’elle/il se donne à enseigner librement.