Psychanalyste

L’immaturité des surdoué.es

J’entends presque tous les jours parler de l’immaturité des surdoué.e.s.

Les surdoué.e.s sont-elles/ils vraiment plus immatures que les enfants, ados, adultes qui ne fonctionnent pas sur ce mode ?

Commençons déjà par tenter de définir l’immaturité : une personne immature n’est pas mûre, elle n’aurait pas atteint le développement intellectuel et/ou affectif qu’on est en droit d’attendre d’elle. Finalement, on pourrait dire qu’est immature une personne qui ne se comporte pas comme elle le devrait pour quelqu’un de son âge.

Il est fréquemment reproché aux surdoué.es d’avoir des comportements et des réactions inadapté.es à ce que l’on peut attendre d’un enfant ou d’un ado de leur âge, et bien sûr cela concerne aussi les adultes !

Le terme précoce renforce d’ailleurs largement cette idée. En effet, il laisse sous-entendre une avance dans le développement de l’enfant/ado, mais aussi un retard, comme si quelque chose n’avait pas eu le temps de mûrir et donc d’être parfaitement adapté.

Voyons l’exemple de Nicolas.

A l’école, comme à la maison, c’est un petit garçon de 5 ans particulièrement vif. Il s’intéresse à beaucoup de choses, qui ne sont notamment pas de son âge, comme la mort, le président de la république, le cycle de maturation de la vigne, et il connait également par cœur absolument tous les dinosaures dont il cite le nom et les détails sans jamais se tromper en les alignant par ordre alphabétique sous le regard médusé des adultes de son entourage. Il aime parler avec les grands, et d’ailleurs, il a un vocabulaire très riche. Son maître trouve que Nicolas est un peu particulier, et il s’inquiète de l’ennui que ce dernier commence à ressentir en classe. Il a proposé aux parents que Nicolas rencontre le psychologue scolaire afin de faire un bilan. Il en est ressorti que c’est un enfant surdoué, il a un QI de 150.

Quand je le rencontre à mon cabinet, il termine sa 6ème et fêtera ses 11 ans dans l’été. Entre-temps, le maître de moyenne section avait suggéré un saut de classe, refusé par le directeur qui arguait que plus le score d’un.e surdoué.e est élevé, plus il/elle est immature. Finalement, Nicolas changera d’école et sautera le CE1. Tout se passe à peu près bien en CE2 et en CM1, puis c’est la dégringolade en CM2. Nicolas commence à avoir mal au ventre, à ne plus vouloir aller à l’école, à parler tout le temps en classe, à ne pas respecter les consignes, à être puni et même pris à parti par le maître qui dit aux autres enfants « Ne faites pas comme Nicolas qui se comporte comme un bébé. » Le maître de CM2 lui demande de toujours attendre en silence et sans bouger que les autres aient fini leurs exercices, de ne pas répondre tout le temps quand il pose une question, et il a d’ailleurs insisté auprès des parents pour qu’ils arrêtent de le stimuler en l’emmenant voir des expos, en regardant des documentaires et en lisant des livres du niveau d’un collégien.

C’est une famille désemparée et un petit garçon triste et en colère que je reçois à mon cabinet. Nicolas est à présent en 6ème , et son année est chaotique. Il ne veut faire aucun devoir. Il est triste, il se met souvent en colère, et tape parfois ses parents.

Les parents me détaillent le parcours de leur enfant et leurs inquiétudes face, notamment, à l’immaturité de Nicolas, qui refuse de faire ses devoirs, de se plier aux règles de vie à l’école, comme à la maison. Il est passionné d’histoire, il en connait un rayon sur la première et la seconde guerre mondiale, il est super fort en maths, il écrit, certes avec beaucoup d’erreurs d’orthographe (parce que ça ne l’intéresse pas me confiera-t-il), mais avec un vocabulaire et une syntaxe dignes d’un élève de 4ème. Cependant, il bavarde beaucoup en cours, il n’écoute pas quand ses parents lui demandent de faire ses devoirs, il se met en colère quand ils lui demandent d’arrêter de jouer sur sa console, sa chambre est impeccablement bien rangée parce qu’il aime l’ordre mais c’est la bataille pour lui faire penser à débarrasser la table, il oublie régulièrement ses affaires de classe.

“Il est vraiment immature pour son âge”, me diront les parents.

Il y a plusieurs angles de réflexion à mener concernant Nicolas, mais je vais aujourd’hui me centrer sur cette question d’immaturité.

Reprenons l’histoire de Nicolas. Il est en 6ème, se passionne pour la première et la seconde guerre mondiale, il lit et écrit comme s’il était en 4ème, il adore discuter avec les adultes et tient souvent des raisonnements d’un collégien prêt à partir au lycée. Jusque là tout va bien. On lui donnerait facilement 13 ans.

Or Nicolas a 10 ans, et il est certes entouré de jeunes ayant 1 voire 2 années de plus que lui, mais il reste un enfant de 10 ans, c’est à dire à peine un pré-ado.

Ses bavardages en classe, son rechignement à participer à certaines tâches de la maison, ses oublis, etc., sont en réalité, pour le coup, tout à fait fréquents à cet âge-là.

“Vous ne trouvez pas qu’il manque clairement d’autonomie ?” me demandent les parents ?

“Etant donné ce qu’on peut attendre en termes d’autonomie d’un enfant de 10 ans, je pense que non, tout est normal.” ai-je répondu.

Et c’est bien ça qui créé la confusion : le décalage.

Son fonctionnement nous fait facilement oublier qu’il n’a que 10 ans. Et ce décalage donne l’impression d’une immaturité. Or, c’est un leurre, car on ne peut pas attendre d’un.e enfant de 10 ans qu’il se comporte comme un ado de 13 ou 14 ans, quand bien même il se rapproche de cet âge par maints aspects. D’autant plus que 3 ou 4 ans de différence à cet âge-là, c’est gigantesque.

Un.e enfant surdoué.e de 10 ans, reste un enfant de 10 ans.

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Les surdoué.e.s sont-ils/elles des escrocs ?

4 Comments

  1. Julie

    Bonjour Candice,
    Merci pour cet article, du coup, quel conseil peux-tu donner pour mieux faire face à la situation côté parents?

    • Candice Médina-Maraud

      Bonjour Julie,

      Ce dont je suis à peu près sûre, c’est qu’il n’y a pas de recettes miracles. Ceci dit, réaliser et essayer de se rappeler qu’un.e enfant, tout précoce qu’il/elle est, reste un enfant de son âge me parait une bonne option.
      On oublie facilement avec ces enfants-là et ces ados-là, qu’elles/ils ont des comportements tout à fait typiques de leur âge, malgré le fait qu’on pourrait leur donner bien plus.
      Dans la même minute, on peut avoir en face de soi un.e enfant qui a l’air d’en avoir 10 et qui pourtant n’en a que 4, et qui nous le rappelle brutalement. C’est ce qui est tout aussi complexe que passionnant. Ces enfants ont besoin d’être nourris intellectuellement comme s’ils avaient quelques années de plus. De plus, ils sont souvent très demandeurs affectivement, ce qui vient de leur hypersensibilité, et qui donne également parfois cette fausse impression d’immaturité.
      Bref, il s’agit de tâtonner et de faire en sorte de s’adapter au mieux à leur fonctionnement, ce qui est une grande, belle et néanmoins difficile aventure pour tous les enfants, et encore plus pour celles et ceux qui sont surdoué.e.s !

  2. CHOUQUET

    Superbe article ! Effectivement, c’est un décalage ! et non de l’immaturité.
    Nous, en tant que parents, on le sait ! mais le regard des autres est parfois pesant au quotidien !!! Ils pensent certainement beaucoup de choses, car pas au courant de ce qu’est un enfant à haut potentiel ;o)) et il faut faire avec, tenter d’expliquer aux personnes bienveillantes qui veulent comprendre… et les autres, on les laisse “penser” ce qu’ils veulent.

    • Candice Médina-Maraud

      Merci Edwige.
      En effet, c’est un paramètre important à prendre en compte pour toutes les personnes qui accompagnent de jeunes surdoué.e. Et comme il est assez déroutant, ce n’est pas évident de voir les choses telles qu’elles sont : les surdoué.e.s sont hyper matures, ce qui donne parfois une impression d’immaturité quand ils/elles se comportent comme des enfants/ados de leur âge. Mais ce n’est qu’une illusion d’optique et non la réalité !

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