Psychanalyste

Minimiser ou comment jeter de l’huile sur le feu

On a tendance, pour essayer de rassurer quelqu’un, à minimiser voire nier ce que l’autre ressent. Ce qui a généralement pour effet l’inverse total, notamment pour les surdoué.e.s, et souligne la demande de celui qui rassure : s’il-te-plait, crois à ce que je te dis pour te rassurer, ça me rassurera car j’aurai l’impression de t’avoir rassuré. En somme, celui qui demande à être rassuré se retrouve à devoir rassurer l’autre, à savoir celui/celle qui brandit un « c’est pas grave », « c’est comme ça », « c’est la vie », « ce n’est rien », qui sont tout sauf rassurants. Je dirais même que ça contribue surtout à montrer la fragilité des raisonnements derrière lesquels on tente vainement de se cacher.

Prenons l’exemple du système scolaire. Celui-ci est truffé d’aberrations en tous genres. Tout comme le système politique, le monde de l’entreprise, les familles, et la société. Un.e surdoué.e, parce que son fonctionnement le/la pousse à toujours voir les détails, et donc les failles, passe son temps, dès le plus jeune âge, à pointer du doigt ce qui lui semble aberrant. Ce faisant, elle/il s’attire parfois la foudre des membres de sa famille, puis plus tard des ses enseignants.

Les surdoué.e.s sont généralement des empêcheurs de tourner en rond, et pour cela, on leur en veut parfois beaucoup.

Et comme il n’y a rien de mieux qu’un ennemi commun pour rapprocher les troupes, le harcèlement à l’école touche parfois les surdoué.e.s, notamment ceux qui protestent, d’une manière ou d’une autre, contre les aberrations.

Quand un.e jeune surdoué.e ne veut pas faire des devoirs qu’il/elle juge inutile, la réponse parentale est, à une écrasante majorité, quelque chose de l’ordre du « c’est comme ça, c’est la vie, tu crois quoi, moi aussi je fais des choses qui me paraissent inutiles au boulot, alors fais tes devoirs, un point c’est tout ! ». Là où les parents y voient éventuellement une règle universelle de résignation à l’ennui parfois même érigée en principe de maturité (ce que j’appellerais plutôt ici de la soumission, de l’obéissance non réfléchie), les jeunes surdoué.e.s y verront une suffocation.

Qu’est-ce qui va vraiment rassurer un.e surdoué.e, et de manière générale tout être humain qui aura envie d’envoyer valser sa branche de croyances vermoulue ? Etre entendu.e, que ce qu’elle/il ressent soit reconnu et non minimisé ou nier.

Entendre : « je suis d’accord, ça n’a pas beaucoup de sens, ça n’en a même pas du tout », ou encore « non, ce prof, tout adulte qu’il/elle est n’a pas à te parler comme ça pour la simple raison que tu es plus jeune, oui le respect ça marche dans les deux sens », « évidemment, ne pas pouvoir aller aux toilettes quand on en a besoin parce qu’on est en classe, c’est ridicule, c’est même contre-nature, et d’ailleurs c’est culturel, ça ne se passe pas comme ça dans tous les pays », « bien sûr, on peut avoir une belle vie sans rien piger ni aimer les maths, mais tu vas devoir faire avec cette contrainte arbitraire encore quelques années, et on va voir comment on peut faire pour que ça ait le plus de sens possible », « c’est clair, faire tous les mêmes devoirs alors que tu as très bien compris cette leçon et réussi tous les exercices, ça n’a aucun intérêt, et ça aurait été mieux, quitte à te donner du travail à la maison, que ce/cette prof te donne quelque chose de plus difficile pour que tu t’amuses », « je suis d’accord, rester assis pendant des heures, c’est épuisant, ça demande trop d’énergie de ne pas avoir le droit d’en dépenser », etc.

Les parents et les enseignant.e.s ont souvent l’impression qu’en abondant dans le sens de ce que ressentent les enfants/ados, qu’ils/elles vont leur faire du tort.

Et pourtant, c’est bel et bien quand on conforte la parole d’une personne, qu’elle se sent soutenue, entendue, et que quelque chose est possible. Refuser ça à un enfant ou un ado, et bien sûr à un adulte, c’est se priver de toute possibilité d’une véritable appropriation, c’est transmettre la soumission, et non pas la confiance et l’autonomie.

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2 Comments

  1. Antoine

    Merci pour cet article qui met le doigt, comme c’est rarement le cas, sur la souffrance du ‘surdoué’ (je mets des guillemets, parce que surdoué, c’est un concept, arbitraire et donc discutable, voire contestable, ce qui montre assez les querelles de chapelle et les nombreuses dénominations – douance, surdouement, surdouance, zèbre, etc – ; dans tous les cas, c’est un concept drastiquement, dramatiquement, réducteur). Très honnêtement, je ne sais pas si je suis surdoué et si, passant des tests, je serais reconnu comme tel : j’ai toujours été incapable de faire quoi que ce soit autrement que par passion, par jeu, par plaisir ; dès que je sens une pression, ou que je me mets la pression, je perds tous mes moyens. Je n’aime rien tant, comme le lièvre de la fable du lièvre et de la tortue, papillonner, butiner, découvrir, savourer : le passion, c’est ce qui m’anime. Et je ne sais donc rien faire à moitié, ou (pire à mes yeux) raisonnablement (non que je condamne la raison ! Mais elle me sert à me comprendre moi-même et réaliser mes vrais désirs, ceux qui me nourrissent et me grandissent) : en amour, au travail, en vacance, c’est tout ou rien. L’absolu, l’infini est ma mesure, sans mesure. Contrairement à ce que j’entends beaucoup, en ce qui me concerne, je n’ai pas l’impression de penser dans ma tête, mais avec tout mon corps et toutes mes possibilités, à l’intérieur et à l’extérieur de moi-même conjointement. Un peu comme dans l’art ou la littérature, je passe mon temps à créer au sens de concevoir des horizons, des possibilités, des perspectives, en allant toujours au-delà de l’apparente factualité des êtres et des situations. L’imaginaire, le désir, au lieu d’être un refuge, m’est un espace et une énergie pour déployer concrètement les potentialités de ma vie concrète, et je ne saurais, je ne sais borner l’écoute de ce qui m’anime profondément, fondamentalement, quitte à avoir souvent des frayeurs (ma raison fonctionne très bien ! Je vois très bien les pièges, les dangers que je cours à suivre ainsi une voie que presque tout le monde évite (se rassurant très illusoirement dans la possession de choses, l’occupation d’une place, d’un statut et s’échinant à les faire fructifier) mais je veille toujours, je lutte en permanence – c’est un combat de chaque instant contre soi-même avant tout, ô combien excitant – qu’elle soit au service de mon intuition, de mon coeur, de mon âme et non l’inverse. La vie est tellement grande, et bonne (comme un bon fruit : goûteuse, nourrissante, stimulante) bien plus que ce qu’en disent toutes les spiritualités, toutes les philosophies, toutes les sciences, lorsqu’on accepte d’abandonner ses idées, forcément limitées, toute forme égocentrique d’intéressement, de calcul ! Mais cela suppose, en permanence, d’être disponible, désintéressé, de se détacher du faux (faux moi, faux-semblants, faux désirs qu’on n’a jamais interrogés), de se déshabiller de tous les oripeaux : c’est donc une voie extrêmement exigeant, et comblant. C’est une crête, humainement parlant, existentiellement parlant, mais j’ai toujours senti qu’elle était à la portée de chacun : l’intelligence humaine est tellement extraordinaire, qu’on ne peut la mesurer, même dans l’être humain le plus simple et le moins doué a priori. Toujours est-il que, de par ce choix ou cette orientation de vie (je n’ai pas vraiment choisi, il n’y a rien de volontaire, c’est plutôt comme si j’étais arrivé au monde en décalage, et que j’avais mal pris les rails de normes, de croyances, que suivent la plupart des gens ; et quand je dis la plupart, en réalité, à ce jour, je n’ai rencontré personne, et j’ai 46 ans, et j’ai toujours cherché non pas quelqu’un comme moi, mais un écho, chez quelqu’un d’autre, à ce que je vis, sans y parvenir, même en m’adressant à des gens considérés parmi les ‘meilleurs’ d’entre nous : scientifiques, artistes, philosophes ; chez tous, j’ai toujours trouvé un esprit contraire : limité, lourd, lent, confus, derrière des apparences souvent très séduisantes). Le paradoxe, c’est que sur cette voie et dans cette épreuve (au sens d’éprouver, d’éprouver la vie) si singulières, on a le sentiment d’accéder à l’essence de l’humanité et à son universalité : or, on est seul ; sans compagnon de jeu (je), avec lequel partager, à fond, la jouissance qui est la nôtre, avec lequel échanger en toute réciprocité nos ‘richesses intérieures’. Partout et toujours, on se heurte à des limites conventionnelles, à une étroitesse d’esprit, des impensés, des tabous, des non-dits qui régissent d’une manière si étonnante la vie de chacun que cela en devient absurde. Ce qui est donc au fond et avant tout une chance extraordinaire, devient dans la même mesure une torture : impossible de communiquer véritablement avec quiconque, même ses plus proches, ses intimes. Alors que, justement, on n’a jamais autant soif d’échanger (en dehors de tout cadre, à fond, sans tabou) avec autrui, et de trouver des partenaires (de je-u). Hélas, à 46 ans, en ayant pourtant déployé des trésors d’imagination pour aller toujours plus loin de mon cercle initial de relations, je n’ai trouvé… Personne ! Malgré cela, je ne parviens pas à renoncer. Et j’essaie, à toute occasion, de faire signe à mon semblable : que la vie est plus grande, qu’il est plus grand que ce qu’il s’autorise à être et vivre. La plupart du temps, provoquant du malaise voire de l’agressivité : à la seule exception des moments particulièrement difficiles ; là, étonnamment, les gens soudain peuvent (parfois, pas toujours !) s’ouvrir comme jamais, tomber les masques, en partie du moins, et accepter d’entendre qu’autre chose est possible, que la vie est un champs de possibilités infinies (un champs infini de possibilités), et ce quel que soit notre point de départ, aussi douloureuse qu’ait été notre histoire et sombre que paraisse l’avenir (j’en connais un rayon, comme tout un chacun, sur la souffrance). A condition de bien vouloir ouvrir les yeux, de l’esprit.

    • Candice Médina-Maraud

      Vous lire est un plaisir, et si le portrait que vous faites de vous n’est pas celui d’un “surdoué”, alors je ne sais pas ce que c’est…

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