“Ma fille, c’est une escroc !” me confie un père. Cette dernière n’ouvre pas beaucoup ses livres, apprend vaguement ses leçons, travaille un poil plus pour les contrôles, et a 15 de moyenne.

Qu’est-ce qui donne parfois l’impression que les surdoué.e.s sont des escrocs ? Leur facilité déconcertante, du point de vue des autres, à souvent apprendre et comprendre à la vitesse de la lumière avec le moins d’efforts visibles.

C’est d’ailleurs ce qui nourrit deux malentendus considérables.

Le premier est le suivant : les surdoué.e.s n’ont pour ainsi dire jamais l’impression de faire quelque chose de particulièrement remarquable là où les autres voient des facilités (les fameuses facilités ou capacités des surdoué.e.s), un don ou même du génie. Eux, elles, font simplement quelque chose qu’ils/elles aiment et/ou qu’ils/elles font de manière très efficace.

Le dernier terme à la mode pour parler des personnes qui fonctionnent sur ce mode particulier est de dire qu’ils sont à “haut potentiel”, avec l’injonction que ça trimbale : être à la hauteur de ce potentiel.

Écoutons la maman de Chiara : “Je ne comprends pas, elle a vraiment des facilités, une super mémoire, et elle n’a que 14 de moyenne, elle pourrait faire mieux, elle pourrait avoir 16 !”

Oui bien sûr, 18 même. Elle pourrait. Mais pourquoi faire au juste ? Et surtout, pour qui ? Pour elle ? Non, Chiara travaille peu et a 14 de moyenne, le temps qu’il lui reste elle le passe à lire des pavés (en ce moment c’est Harry Potter), regarder des séries, jouer au foot, discuter avec ses copains et ses copines, dessiner et jouer du piano. Bref, elle vit. Elle passe de nombreuses heures au collège, elle fait ses devoirs en ne travaillant rarement plus de 30 ou 45 minutes, et elle a 14 de moyenne. Pourquoi, pour qui, faudrait-il qu’elle en fasse davantage ?

Que nous dit le père d’Esteban ? “Il a du potentiel, il faut qu’il l’exploite ! Mais il ne travaille pas assez, vous vous rendez compte, il ne travaille même pas 1h par jour en rentrant du lycée ! Il faudrait qu’il travaille au moins 2h, il a le bac à la fin de l’année quand même !”

Je dirais même, il aura le bac, avec 13 de moyenne. Mais ça ne se mesure pas en temps de travail. Un.e personne peut mettre 30 minutes à faire quelque chose qui prendra 1h en moyenne aux autres et 1h30 pour quelques un.e.s. Ce n’est pas la quantité de travail qui en définit la qualité.

Deuxième malentendu : les surdoué.e.s ne sont pas des machines ayant la science infuse.

C’est indéniable, très souvent, leur intuition et leur possibilité d’apprentissage avec de moindres efforts que les autres leur permettent d’apprendre vite et bien.

Mais, et il est de taille, elles/ils apprennent souvent vite et bien quand elles/ils aiment ce qu’il y a à apprendre. C’est un facteur de corrélation essentiel qu’on a tendance à vite oublier ! Tout être humain, et a fortiori les surdoué.e.s, apprennent beaucoup plus facilement et mieux quelque chose qui leur plait vraiment, et quand ils/elles aiment les enseignant.e.s. L’affection portée ou non à un.e prof va affecter, plus ou moins selon le/la prof, la matière, celui/celle qui apprend, son apprentissage.

D’autre part, les méthodologies de travail, par exemple toute chose ressemblant de près ou de loin à une dissertation, c’est à dire au développement construit et structuré d’une pensée et/ou de connaissances, n’est pas vraiment intuitif. Comme les autres, les surdoué.e.s vont devoir apprendre comment on fait. Et là, c’est souvent dans le décalage avec les autres entre leurs apprentissages possiblement fulgurants et la nécessité d’apprendre une méthode, qui donne, et en premier lieu à eux/elles-même, l’impression d’être bêtes.

On aurait un potentiel et finalement il n’est pas sans limite ? Heureusement ! Ce serait l’ennui mortel assuré, plus rien à apprendre, plus aucune difficultés à surmonter, du facile tout le temps. Une horreur en somme…

Mais là encore, si on prend le temps d’entendre le désarroi de ces jeunes, ou de ces adultes, qui ont tout à coup l’impression que la magie n’opère plus, qu’on se serait trompé, qu’ils/elles sont idiot.e.s en fait, puis celui de travailler avec eux/elles sur ce qui bloque ; leur intuition et leur fulgurance d’apprentissage reviendront alors au galop.

Les surdoué.e.s ne sont pas des escrocs, mais ils/elles n’en sont pas moins souvent bluffant.e.s.